Enquête

Sécurité : à quand des femmes mieux protégées sur la route ?

Sécurité : à quand des femmes mieux protégées sur la route ?

La structure des véhicules résulte des tests de sécurité. Or, s’ils ne donnent pas la priorité aux passagers de sexe féminin, les améliorations nécessaires à leur protection ne seront pas entreprises.

© Pexels / Pixabay

Les femmes représentent plus de la moitié de l'humanité. Pourtant, la majorité des objets du quotidien semble avoir été conçus par des hommes pour des hommes. Et les voitures ne font pas exception…

En France, en 2022, 78 % des morts sur la route étaient des hommes et 88 % des jeunes conducteurs tués en 2021 étaient de sexe masculin selon l’ONISR (Observatoire national interministériel de la sécurité routière). Parallèlement, 84 % des responsables présumés d’accidents mortels se comptaient parmi la gent masculine. Des données qui ont tendance à faire oublier le fait que les femmes courent un plus grand risque de décès ou de blessure en cas de chocs routiers. Pour cause : « Les femmes meurent moins mais pas parce qu’elles sont mieux protégées », analyse Pierre Castaing, ancien président d’Euro NCAP et membre du comité des experts auprès du CNSR (Conseil national de la sécurité routière) et du DISR (Délégué interministériel à la sécurité routière).

Bien sûr, les disparités entre les hommes et les femmes ont considérablement diminué depuis les années 2000 grâce à des véhicules plus sécuritaires, l'écart global passant de 18 à 6 % pour les véhicules de 2010-2020 et à 3 % pour les véhicules de 2015-2020, selon le rapport « Female Crash Fatality Risk Relative to Males for Similar Physical Impacts » de la National Highway Traffic Safety Administration, paru en août 2022. Il existe également de multiples causes de disparités statistiques, comme la pratique du deux-roues motorisés qui demeure encore très masculine, ou la taille de la voiture privilégiée entre conducteur et conductrice. Néanmoins, « si aujourd’hui il y a une augmentation des connaissances et une avancée vers l’inclusivité, les différences de traitement demeurent toujours, avec des conséquences souvent mortelles », note Astrid Linder, ingénieure, chercheuse et professeur de sécurité routière suédoise. 

« Les femmes ne sont pas des versions réduites des hommes »

En témoignent les dernières données de la NHTSA et de la Federal Highway Administration qui démontrent qu'une conductrice ou une passagère avant qui porte sa ceinture de sécurité est 17 % plus susceptibles qu'un homme d'être tuée lors d'un accident. De même, une étude de l'Université de Virginie (UVA) parue en 2019 montrait que, pour une occupante féminine, les risques d'être blessé dans un accident frontal sont en moyenne 73 % plus élevés que ceux d'un occupant masculin. Entre autres risques accrus de traumatismes sur la plupart des parties du corps...

Source : NHTSA Injury Vulnerability and Effectiveness of Occupant Protection Technologies for Older accupants and Women - Crédit : Clotilde Gaillard / Piktochart

Un constat que corrobore Astrid Linder, travaillant sur ces problématiques depuis 1999. « À cette époque, j’étais à l’Université et je faisais partie d’un projet sur l’impact des crashs routiers. J’ai alors découvert que les femmes étaient plus souvent blessées lors d’un accident et j’ai voulu identifier pourquoi, lors d’un même choc, les femmes avaient plus de risques de dommages, surtout au niveau de la nuque et du coup du lapin », nous confie celle dont les recherches lui ont notamment valu le prix EU Champions of Transport Research Competition, entre autres récompenses. Mais pourquoi tous les profils d’usagers ne sont-ils pas tous égaux face aux dangers de la route ?

Un système d’évaluation biaisé à sa source ?

L’explication semble à trouver du côté des mannequins utilisés depuis des décennies dans les crash-tests automobiles par les pouvoirs publics et par l'industrie. Au niveau international, le mannequin de référence représente en effet un corps masculin moyen pesant 77 kilos. « Pour la réglementation, c’est le modèle 50e percentile homme qui a été retenu au départ », explique Philippe Chrétien, délégué général du CEESAR (Centre européen d’études de sécurité et d’analyse des risques), association à but non lucratif qui œuvre dans trois domaines d’activités à savoir l’accidentologie avec collecte de données terrain, l’évaluation des aides à la conduite en conditions réelles, et la biomécanique des chocs visant les limites de tolérance physique à respecter pour protéger le corps humain.

S’ajoutent à cette référence un mannequin grande taille d’environ 100 kg (le 95e percentile homme) et un de petite taille pesant une cinquantaine de kilos (le 5e percentile femme). C’est ce dernier qui sert de référence type pour la gent féminine adulte. Pourtant, les femmes ne sont pas des versions réduites des hommes et c’est là que le bât blesse… « La sécurité des voitures est évaluée pour les hommes, pas parce que beaucoup de designers automobiles sont des hommes mais parce que les tests des constructeurs sont faits avec des mannequins de gabarit masculin qui constituent la norme. Or, les hommes et les femmes devraient être représentés tous les deux dans toutes leurs particularités. Si cela n'est pas pris en compte dans le processus d'évaluation de la sécurité, il n'est pas possible d'identifier avec fiabilité la nouvelle voiture offrant la meilleure protection en cas d'accident, pour les femmes comme pour les hommes », estime Astrid Linder.

Penser la population dans sa diversité anatomique

La structure des véhicules résultant des tests de sécurité, si ceux-ci ne donnent donc pas la priorité aux passagers de sexe féminin, les améliorations nécessaires à leur protection ne seront pas entreprises. Par conséquent, « il se pose maintenant la question de mieux tenir compte de la diversité, mais les dernières études montrent que la cause n’est pas forcément un problème de genre mais plutôt de gabarit et de corpulence », souligne Pierre Castaing.

« Le positionnement de la ceinture est essentiel »

Cette affirmation est partagée par Philippe Chrétien. « Plus une personne est lourde, plus les efforts vont solliciter le squelette en cas de choc : la solution serait plutôt un mannequin standard qui ne soit plus genré mais qui possède une taille et un poids intermédiaires entre homme et femme », propose le délégué général du CEESAR. Il rappelle d’ailleurs que le poids moyen augmente et qu’il existe des variations importantes à l'échelle mondiale, par exemple en Asie où la population est encore généralement assez petite.

De même, il y a quelques problématiques supplémentaires pour les personnes de mensurations réduites au volant d’une voiture : les spécificités de maintien sur le siège et une position trop proche du volant, qui ne permettrait pas un déploiement correct de l’airbag« Le volant peut maintenant être réglé, mais c’est rarement expliqué en concession, alors que le vendeur apporte généralement ce type d’explication lorsqu’il s’agit d’un vélo », s’insurge Philippe Chrétien. Heureusement, « l’électronique embarquée permettrait de régler automatiquement le poste de conduite à une ergonomie adaptée ». Il est aussi possible d'envisager « deux stratégies de déploiement d’airbag en fonction de l’avancement du siège, une technologie dont doivent s’emparer les constructeurs », déclare le délégué général du CEESAR.

L’amélioration de la bio fidélité des mannequins aux silhouettes variées qui composent l’humanité est nécessaire mais il y a un frein à cette ambition, c’est le coût… Le mannequin actuellement en réglementation coûte environ 250 000 euros, mais il faut presque un million d’euros pour un seul mannequin THOR de dernière génération*. « De plus, cet instrument de mesure qui doit être réutilisable avec reproductibilité des essais, pour une comparaison crédible des résultats, n’est pas toujours fiable… Quels constructeurs vont donc se payer de tels moyens ? », interroge Philippe Chrétien.

« Si les régulations changent, les constructeurs suivront »

Si, pour Astrid Linder, « le vrai coût de la sécurité, c’est celui de la vie », Pierre Castaing concède que « la réglementation essaie de faire avancer les choses de façon pragmatique. Dès lors, les cas particuliers ne se justifient pas dans le cadre de l’homologation car l’objectif est de sauver le maximum de vie. »

*Le Test Device for Human Occupant Restraint (THOR) dispositif de test anthropomorphique (ATD) est la dernière génération de mannequin de test de collision frontale. 

Femmes enceintes, personnes âgées… Des profils négligés

Si la recherche – mais également la dramatique et récente actualité de l’accident causé par Pierre Palmade – a confirmé le fait que les femmes et les enfants étaient les plus exposés en cas d’accident, les occupants âgés et les femmes enceintes sont également des profils vulnérables. « Il n’y a pas beaucoup d’alternatives car la ceinture de sécurité demeure le meilleur système de protection. Malheureusement, elle peut avoir des effets néfastes en appuyant trop sur le thorax des seniors, qui ont des os plus fragiles, ou sur l’abdomen des femmes enceintes », fait remarquer Pierre Castaing.

« La cause n’est pas forcément un problème de genre mais plutôt de gabarit et de corpulence »

Pour les futures mamans, « nous devons étudier les dommages subis par le fœtus en cas de choc. Nous n’avons pas de modèles qui évaluent cet état de porter un enfant alors qu’il faudrait se concentrer sur ce point et y porter attention », plaide Astrid Linder. Elle est rejointe dans sa vision par Philippe Chrétien qui précise que « l’objectif est d’abord de sauver la maman pour sauver le bébé. Le positionnement de la ceinture est essentiel : le brin inférieur ne doit pas passer sur le ventre mais en dessous pour maintenir le bassin », préconise le délégué général du CEESAR.

Astrid Linder - Crédit : Linkedin

« Il est fondamental qu’il y ait plus de diversité au sein du panel de mannequins crash-test. Nous sommes sur la bonne voie mais il faut faire plus et si les régulations changent, les constructeurs suivront. Nous n’avons plus besoin de recherches nous avons besoin d’actions concrètes maintenant » expose, en guise de conclusion, Astrid Linder. Pour Pierre Castaing, en revanche, « la meilleure solution pour baisser le nombre de morts sur les routes semble être la réduction des vitesses car 10 km/h de moins diminue les risques de blessures graves. »

Philippe Chrétien prône, de son côté, d'apporter en complément des mannequins crash-test « des modèles numériques du corps humain, qu’il faut encore alimenter en données sur le comportement réel du corps humain ». Ces outils permettent des calculs complexes, adaptés à chaque morphologie, à l’image de ce qui a été développé dans le projet européen PIPER. « La priorité est maintenant de s’occuper d’autres modes de déplacement, comme les trottinettes électriques, dont les usagers sont trop exposés aux blessures : il va falloir des équipements de sécurité adaptés, et imposer leur bon usage », suggère enfin Philippe Chrétien.

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