Le Garage Ledoux, à Illkirch-Graffenstaden (Alsace).
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Il est devenu administrateur de la carrosserie dans laquelle il a fait ses débuts en classe de troisième. Cédric Ortola montre depuis mai 2022 que lorsqu’on se donne les moyens, on peut être à la hauteur de ses ambitions. Et faire de son premier patron, son nouvel employé.
[Article issu du n°185 de Décision Atelier, paru en novembre 2023]
La boucle est bouclée. C’est par cette locution-phrase que Cédric Ortola répond lorsqu’on l’interroge sur le fait d’avoir repris le Garage Ledoux, atelier mécanique-carrosserie situé à Illkirch-Graffenstaden, dans la banlieue sud de Strasbourg (Alsace). L’homme de 39 ans à la carrure imposante a racheté en mai 2022 les parts sociales de l’établissement familial fondé en 1930. Entre Amédée et Alain Ledoux, ce sont trois générations de passionnés qui se sont succédé avant que l’ancien apprenti ne prenne la relève. Car Cédric Ortola fait presque partie de la famille. Il a rejoint l’atelier à l’occasion d’un stage de troisième, pendant lequel il espérait décrocher un apprentissage. Pas effrayé par les 50 minutes de transport qui séparait son domicile du garage, l’homme d’origine espagnole voulait montrer de quoi il était capable. « Et aujourd’hui, mon premier patron est devenu mon employé », appose-t-il avec un sourire contagieux.
Parmi les quelque 600 garages de la région, l’établissement Ledoux est un atelier relativement discret qui provoque l’étonnement de ses visiteurs en révélant les 800 m2 qu’il abrite. L’endroit a vu le jour au moment où Ettore Bugatti cédait progressivement les commandes de sa marque à son fils Jean ; la rumeur dit même que plusieurs modèles ont séjourné dans l’atelier. Le logo Bugatti y trône toujours et un rapide coup d’œil dans les archives du constructeur permet d’apprendre qu’Amédée Ledoux a été l’un des mécaniciens de l’équipe Bugatti en Grand Prix. Cédric Ortola est parfaitement au courant de l’histoire de l’atelier qu’il a repris. Il y aura passé trois années d’apprentissage avant de le quitter en 2006. « Je voulais voir ce qu’il se passait ailleurs », se souvient ce carrossier.
Après plusieurs expériences marquées par la satisfaction de ses différents supérieurs, Cédric Ortola fait un premier grand pas en 2015 avec la création de Mondial Carrosserie, qu’il implante dans le quartier de la Meina (Strasbourg). Son enseigne ne dispose d’aucun agrément et fonctionne grâce à un bouche à oreille efficace. « Les clients choisissent de venir chez Mondial Carrosserie car ils savent que le boulot y est bien fait », vante son administrateur, qui a pourtant fait le choix de prochainement dissoudre son atelier pour l’absorber dans le Garage Ledoux. Courant 2024, le rapatriement des principaux équipements et des deux employés à Illkirch-Graffenstaden devrait avoir été effectué sans accroc. Le bail sera ensuite cédé et il n’est pas exclu qu’un entrepreneur rouvre une affaire automobile en lieu et place de Mondial Carrosserie.
Travailler en peinant à recruter
« Aujourd’hui, je pense être un bon patron car j’ai été employé. J’ai un œil beaucoup plus ouvert, je sais comment mes collaborateurs pensent et je tâche d’être à leur écoute », estime Cédric Ortola au moment de promouvoir les bonnes conditions de travail dans ses ateliers. Mais malgré des locaux chauffés et nettoyés avec insistance – ce remarquable savonnage est hérité des méthodes Ledoux –, il peine comme ses confrères à recruter. Concurrence des autres garages, avec les salaires allemands, exigences salariales démesurées ou encore manque de formation viennent s’ajouter à un désintéressement pour la profession. « Je vois une importante différence depuis la pandémie, qui a eu un énorme impact sur le recrutement, regrette Cédric Ortola, on arrive toujours à se débrouiller mais cela devient très compliqué lors des pics d’activité. » D’autant que des salariés prendront leur retraite à la nouvelle année.
Bien que ses deux collaborateurs de Mondial Carrosserie arriveront bientôt, cela fait un an qu’il cherche activement quatre nouveaux employés pour compléter les effectifs du Garage Ledoux. Mais les CV se font rares et les profils ne correspondent pas. « J’ai des candidats sans formation qui me disent qu’ils aiment l’automobile et qu’ils travaillent sur leur voiture le dimanche », semble encore halluciner ce titulaire d’un CAP Peinture en carrosserie, qui cherche des « diplômés débrouillards et volontaires. » Cédric Ortola jure qu’en un an, il n’a essayé qu’un seul postulant, qui s’est montré à la hauteur des attentes. Avant d’être débauché par un autre atelier. Le nouvel administrateur du Garage Ledoux est d’ailleurs extrêmement déçu des stagiaires et apprentis qu’il a pu recruter.
Le conflit avec les assureurs et leur considération des volumes horaires n’est aujourd’hui plus le problème principal de la profession. Si les désaccords avec les experts perdurent encore, ils ne surpassent en rien les difficultés de recrutement. Ce thème central est d’ailleurs jugé plus important que celui de l’augmentation des coûts liés aux matières premières ou à l’énergie. « Il faut travailler sur la perception de ce métier mais aussi sur ce qu’on leur fait visualiser pendant la formation », annonce Walter Rabate, l’animateur réseau d’Axial, présent dans le Bas-Rhin à l’occasion de sa tournée des adhérents. Cédric Ortola fait partie de ce groupement de carrossiers indépendants depuis 2016, année pendant laquelle sa candidature avait été appuyée par Alain Ledoux, membre du conseil d’administration d’Axial. L’ancien patron du garage éponyme continue aujourd’hui de participer à la vie de l’atelier fondé par son grand-père.
Obligé de devenir carrossier-gestionnaire
Centraliser ses deux carrosseries à Illkirch-Graffenstaden doit permettre à Cédric Ortola d’avoir plus de confort. Environ 1 200 véhicules passent chaque année dans le Garage Ledoux, dont l’activité mécanique représente 30 %. Il n’est donc pas question de la développer outre mesure, d’autant que le repreneur est avant tout carrossier de vocation. En ayant repris l’établissement, il profite désormais de la présence d’une secrétaire expérimentée ainsi que de l’assistance d’Alain Ledoux, qui réalise également une partie de l’administratif. « Je n’ai pas eu le choix de m’intéresser à la gestion quand j’ai ouvert mon garage mais ce sont l’automobile et la carrosserie que j’aime », confie Cédric Ortola, à qui il arrive de rester tard le soir pour compléter certaines tâches que ses employés n’ont pas eu le temps de terminer.
« Je suis en bleu de travail toute la semaine, j’ai besoin d’être dans l’atelier, assure le carrossier, on est beaucoup plus crédible face à un expert, à un fournisseur mais aussi avec ses employés. » Car être patron est un métier très différent, qui implique de considérer d’autres aspects mais aussi de faire face à des imprévus qu’un salarié n’imagine pas forcément. « On ne peut pas lancer son activité sans dommages collatéraux et se dire que tout va bien se passer. C’est d’ailleurs difficile de concilier cela avec sa vie privée », reconnaît Cédric Ortola. Mais à voir la fierté qu’il ressent en observant ses projets se concrétiser, on n’a aucun mal à imaginer que les sacrifices en valaient la chandelle.
